L.239




26 septembre 2009

Chansons


Guérite


*

Chanson devant la guérite


Fille de l’air, rêverie,
compagnonne du soldat,
le jour est long sous la pluie ;
tu reviens, le jour s’en va.

Compagnonne, compagnonne,
entends tousser les chevaux ;
la soupe n’était pas bonne,
le rata n’était pas chaud.

Ceux que j’aime, est-ce qu’ils m’aiment ?
Est-ce qu’ils pensent à moi ?
Ca ranimerait quand même.
Ca serait bon par ce froid.

Une surtout, dans sa chambre,
allant prendre mon portait,
et, ayant été le prendre,
longtemps le regarderait...

Je sers le sien dans ma poche,
te voilà, ma grande amour...
Mais gare si on approche,
j’en serai pour mes vingt jours.


*


Chanson des Vaudois


Il nous fallait des fusils :
vite, on a été les prendre ;
l’ouvrier sans son outil
ferait mieux d’aller se pendre.

On nous a dit : "La frontière,
ça n’est pas assez marqué,
faites-y un mur de pierre,
cimenté, recimenté.

Faites-y une muraille,
où il n’y ait pas de trou..."
Dites-m’en une qui vaille
celle de ceux de chez nous.

Cent mille hommes, deux cent mille,
trois cent mille, s’il le faut,
un joli mur de poitrines :
des poitrines, pas de dos.

Blanc ? présent, Belet ? de même,
et Belet qui touche Blanc,
ça vous ferme la plaine,
du levant jusqu’au couchant.

Et, derrière, la montagne,
mais y en a-t-il besoin ?
après Belet vient Chavannes
et plus loin vient Parmelin.

Et tous se sentent les coudes,
et, quand le cœur bat à un,
chez très tous le cœur leur bouge,
ayant mille cœurs chacun.

Alouette, monte vite
voir si l’ennemi viendrait ;
nous, on a bourré nos pipes,
c’est vous dire qu’on est prêts.

Et on écrira à celles
qui restent à la maison ;
faites-vous seulement belles
pour le retour des garçons.

Pleurer, ça fait les yeux rouges,
les garçons seraient déçus ;
gardez-nous des joues bien douces,
qu’on mette un baiser dessus.

Qu’on vous trouve toutes prêtes
et sentant bon le savon ;
et on fera une fête
qui tiendra tout le canton.


-

Charles-Ferdinand Ramuz


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