L.239




6 décembre 2009

Ce qui se dit sous terre [8]



Dancing Spirit





8. Oscarr Neuymann


toute l'histoire des clans

tout cet empire d'ombres et de clartés

apparaît pour l'instant d'une

clarté rythmée par cet écheveau

par le fil des traditions

croyances et mythes en constituent l'anamnèse

toute l'histoire de cet écheveau complexe compromise

impossible de démêler

toute l'histoire de nos divisions

à la lueur d'une

davantage de ténèbres que de ténèbres

fenêtres noires

miroirs bouchés

ténèbres qui séparent

comme la main du Seigneur écarte

tout l'histoire résumée

dans le miracle d'un événement

d'une campagne lancée contre l'empire de Dieu et ses esprits par le Gaucher

la résurrection rythmée par cet écheveau

la résurrection apparaît rythmée par ce cancer de Dieu qu'on appelle le Gaucher

en bas on envisage

on se cache le visage

les esprits parlent d'eschatologie

en bas les hurlements

la résurrection apparaît pour l'instant compromise


+


l'écriture descend dans les lieux du souvenir

l'écriture des noms des personnages des lieux

de nombreuses variations selon les poèmes

au début du début du souvenir

un explorateur du nom d'Oscarr Neuymann

accompagné par des guides wallafites

il aurait passé en enfer

et serait retourné à la surface

les poumons noircis d'avoir levé une partie du mystère

l'explorateur Neuymann guidé par ses Wallafites

mais il serait retourné sur la terre

c'est ce que retient le poème

toutefois

de hâtives études linguistiques réalisées ultérieurement ont

permis de lever une partie du mystère

selon le poème au début du début Allah

Allah a prévu de descendre dans nos poumons

dans nos souvenirs à travers l'écriture (nòueyîmaân)

Allah a créé des vaisseaux des

organes de conduction (nüuymahanâ) pour

descendre les âmes vides dans l'eau qui boit au poumon du souvenir

"Noôehmaajn" est un des noms permis des lieux d'où Allah s'est levé

un nom donné par Allah aux lieux du corps par où l'on descend

une partie du mystère est

des vaisseaux de sang qui s'avancent dans tes organes pour te descendre aux lieux psychiques d'où personne ne retourne

aucun explorateur n'a pu jamais

des âmes sanguines n'auraient pu retourner aux sources des eaux du corps

personne n'a jamais laissé d'écritures avec son sang à la surface


+


l'explorateur du poème Oscarr Neuymann

accompagné de ses Wallafites après

après avoir longé sur des centaines de kilomètres

la brume des monts Kulu' Mburuu

pour entrer progressivement en

le territoire des Zumbul' Uur

sur ma droite les

la brume des monts

Oscarr Neuymann et ses Wallafites

piquèrent droit sur un paysage lunaire

dont l'infini n'est rompu de loin en loin que

la silhouette aigre d'un acacia

ou l'ossature de deux chameaux qui ondoient dans la fournaise

les êtres qui habitent ces solitudes

êtres qui parlent la langue

Neuymann et ses hommes suivent au loin le vol de centaines de

un paysage lunaire

des roches basaltiques

derrière eux, sur des centaines de kilomètres, le long ruban des monts Kulu' Mburuu après lequel on entre progressivement

ici

les êtres qui errent solitairement dans le désert

le regard tourné vers les sommets neigeux

dans la nuit de leur coeur retentit l'aigre clochette

de la soif, rite perpétuel d'initiation auquel ils se soumettent

l'explorateur du poème

depuis sa base observe de loin

des êtres pratiquement invisibles

l'ascèse leur ôte un poids

le regard tourné vers

celui de l'existence

vers les monts intérieurs

lorsqu'ils dorment ils s'élèvent au-dessus de la surface


+


le physique Zumbul' Uur

une taille haute

corps longiligne

dolichocéphalie élevée

comme pour passer

entre les brûlures

du soleil

(Oscarr Neuymann observe à la jumelle)

le Zumbul' Uur s'abstient de

le manger, le boire

il brandit vers le ciel les bâtons de ses bras

lance au soleil malédictions et prières

la salive Zumbul' Uur

denrée précieuse qui se recueille

comme une rosée lorsqu'il quitte sa chair

on dit qu'elle guérit la brucellose

la femme Zumbul' Uur

réputée pour sa maigreur

le Zumbul' Uur s'abstient des femmes

il leur crache dans le coeur si elles s'approchent

aussi ne dédaignent-elles pas la prostitution


+


la religion

les armes données par les prophètes

(Jésus-Christ)

les "mythes des origines" (kiyTi-kuu') n'apportent qu'un

selon une croyance recueillie chez les

les trois lunes créées que le soleil d'ici prit pour épouses

de leur union magique naquirent neuf fils guerriers (Diinzoor)

les neuf furent peut-être Aadiin (Adam) à quoi s'ajoutent huit autres

de leur union contre nature naquirent les grands ancêtres

Aadiin (Adam) descendu près d'Allah en enfer

où sa foi n'eut pas à refroidir

puis de la côte d'Adam et du sein d'Eve

dévala l'essaim noir des esprits

sous la bannière du Seigneur, de la Kabbale et du Ciel

les yeux tracés de kohl

l'arme blanche battant à la ceinture et

brillant le haubert

brillant sous les trois lunes créées

pour la beauté de l'occasion

ils se seraient d'abord dirigés vers l'est, traversant le 'Urubba

avant d'obliquer vers le nord

de leurs fusils Zastava sortirent les clans

chacun leur tour

de leurs fusils M21

nés pour souffrir la punition

les mythes les esprits le Seigneur

ce qu'on appelle ici la religion du bambalisme

les mythes originels, dans leur pauvreté

sont peut-être conformes

par Jésus-Christ, ma mémoire me fait

les mythes sifflent à mes oreilles

le soupir des esprits la nuit, le galop des chevaux de la Kabbale

qui sait, personne ne sait

l'extrême pauvreté de mes visions

la peur a marqué durablement les visages

selon les calculs nos ennemis descendent du soleil

les données biométriques tendraient à plaider pour cette hypothèse


+


ma description

selon les calculs

mes descriptions se terminent

aucun espoir de nuit comme de jour

et cette légende encore

absurdité

lorsqu'on vivait là-haut

terrorisés par une famine

à cette époque la guerre

tapis de bombes

et gaz

les casques bleus météorisés par ces prodiges

ne se mêlaient

un jeune berger aveugle du nom de 'Aw Iskaar Quul Allak' fut victime du vol d'une bête

il déroula la laine de son tapis de prière et, tourné vers la bonne direction

se mit à invoquer Allah

s'enquérant du nom du voleur en plein jour de marché

aussitôt qu'il se releva on entendit gémir et murmurer

personne n'avait pourtant soufflé mot

l'aveu provenait des profondeurs du ventre de celui

où se trouvait consommée la chair de la bête

terrorisés par ce prodige, les patriarches du village s'exclamèrent

"qu'on mette à mort le magicien avant qu'il ne déchaîne contre nous tous ses prières !"

'Aw Iskaar Quul Allak' fut égorgé et mis en terre à la hâte

c'était la guerre et sur les fûts des fusils les villageois firent graver : "qu'Allah protège ses fils du démon, du génie noir, de la boue noire, de la Bête noire, de la magie noire"

Allah sut les entendre, qui les tient ici comme des vaches atteintes de météorisme

qu'on soigne en leur brûlant le flanc à l'aide d'un fer en forme d'étoile de David

si elles éclatent les poches de gaz laissent filtrer un liquide que récupèrent et boivent les esprits dévêtus

l'essaim noir des esprits qui montent à nu dans la montagne et dont la course soulève une poudre toxique qui aveugle et retombe sur le monde


(fin)




[Matériel bibliographique. – Mohamed Mohamed-Abdi, "Les bouleversements induits par la guerre civile en Somalie : castes marginales et minorités", in Revue Autrepart, 15, 2000 : 131-147. – Christian Bader, Le sang et le lait – Brève histoire des clans somali, Paris, Maisonneuve & Larose, 1999].

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pan ! pan !