L.239




16 juillet 2012

Ici ça va


Pêche à la ligne


Ce n'est pas ma came habituelle, ça ne ressemble pas aux brutalités gothes que je m'envoie d'ordinaire, aux brûlots de Barbe bleue qui me ravissent pour avoir mis la littérature à feu et à sang.

Bref, je me suis trouvé un peu con au début avec ce bouquin entre les bras, que Thomas Vinau, l'auteur, a eu la gentillesse de m'adresser avant la sortie. Et puis j'ai avancé dans la lecture, et puis j'ai aimé. C'est une écriture douce, sans flaflas, une écriture humaine pour dire des choses humaines, avec délicatesse. Je ne sais pas bien dire à quoi ça ressemble en termes de genres. La comparaison qui se présente en premier me vient plutôt de la bande dessinée : c'est aux vignettes du Combat ordinaire, de Manu Larcenet, que j'ai pas mal pensé.

Ici ça va raconte l'histoire d'un jeune type qu'on sent revenu de loin, fragile encore, qui s'installe à la campagne avec la fille qui l'aime dans la bicoque à retaper de sa prime enfance. Une histoire anti-psychanalytique où on accepte que la vie ait ses silences, où on n'est pas trop sûr de ce qu'on est venu chercher, sinon la paix, sinon la réconciliation avec un mort dont on a tout escamoté mais dont des bribes restent accrochées sous les berges limoneuses de la rivière. Un père tragiquement mort en fonds sonore, en somme. Un bruit qu'on apprend à apprivoiser.


Extrait :

J'ai monté la ligne. Une ligne simple. Introduit le fil dans ma bouche. Serré les plombs avec les dents. Le bouchon. L'asticot. Pas de moulinet. (...) Le jour était juste derrière la porte. Nous ne pouvions pas encore vraiment distinguer si la lumière tombait du ciel ou si elle montait de la terre. Les arbres fumaient en silence. J'ai regardé le courant, fixement, et au bout de quelques secondes j'ai eu la sensation que l'eau froide entrait par mes yeux et me nettoyait le coeur. J'étais sur le point de jeter la ligne dans l'eau lorsqu'une image m'a envahi. Il était dans l'eau jusqu'au ventre, torse nu, tennis aux pieds, et il plongeait ses mains sous les berges. Il s'adressait à mon frère et à moi en chuchotant : "Venez, n'ayez pas peur, il est juste là, je le sens sous mes doigts. Il faut le caresser avant de l'attraper." Lorsque ses mains sortirent de l'eau boueuse, nous avons vu qu'elles serraient un poisson-chat, parfaitement calme malgré les doigts de mon père enfoncés dans ses branchies. Il s'agitait à peine, alors qu'il était en train de s'asphyxier.


7 commentaires:

  1. Coïncidence, je l'ai lu hier d'une traite et j'approuve. Un très beau texte qui sent le limon, l'herbe coupée et la "sueur de femme".

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  2. Par contre je n'aime pas l'édition : pas d'identité propre, une police rondouillarde et disproportionnée sous une couverture gris sale et jaune trop mûr qui ne collent pas au texte, tout ça me semble très bricolé et assez peu attentif.

    Il faut dire, plus généralement, qu'elles ne me plaisent pas tellement ces éditions Alma, avec leurs journalistes improvisés éditeurs, leur présentation en forme de "business plan", leurs "consultants" et leurs communiqués vantards d'agence de com.

    http://www.alma-editeur.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=47&Itemid=27

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  3. Pour l'objet, je sais pas. J'ai eu entre les mains les épreuves non-corrigées destinées aux libraires mais s'il paraît dans la même collection que "nos cheveux...." en effet, c'est la maquette basique et uniforme, peu importe le contenu.

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    1. Thomas Vinau a l'air bien traité chez eux en tout cas, tant mieux pour lui, c'est déjà ça.

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  4. Et oui : c'est la maquette standard avec les tranches qui changent de couleur. Mais ce n'est pas tellement ça qui me gêne (il y a des éditeurs et/ou des collections avec une charte graphique et des couvs standardisées que j'aime, parce qu'il y a tout de même une vraie identité qui découle du choix des auteurs, du travail graphique et typographique en lien avec l'univers littéraire des auteurs, de la conceptualisation d'une image forte que la maison veut projeter, etc., etc. Ainsi Minuit, Cent Pages, Le Quartanier, Du Lérot, ...). C'est plutôt qu'ici, c'est moyennement réussi et qu'on sent beaucoup le côté : "j'ai pillé des idées à droite à gauche chez les confrères pour bricoler mon truc nouveau à moi". Bref, ça me paraît bancal.

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  5. L'extrait me rappelle BigFish de Tim Burton.

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pan ! pan !