à l'époque vous avez dans les onze ans pas plus vous êtes rongé de terreur de colère de chagrin mais rien de grave. vos parents ne sont pas là aujourd'hui qui travaillent et vous avez fait rentrer le petit nicolas zborowski après l'école votre voisin polonais votre seul copain qui a le même âge court et blond sur pattes des barbelés plein les ratiches et n'a pas le droit d'être invité à la maison en principe. je dis nicolas zborowski mais à vrai dire rien ne prouve je dis comme ça revient il est possible que l'identité véritable ait été autre chose – jérôme zborowski par exemple ou même nicolas skrzypek à moins que ce ne soit mark levy. mais zborowski se tient mal. zborowski dévore tout ce qu'il déterre dans le frigo zborowski colle ses mains dégoûtantes un peu partout il s'empare de vos affaires et va vous attirer des histoires s'il continue. vous regrettez de lui avoir dit de venir cette engeance qui traîne ses origines jusque dans ses godasses – son pays où on se nourrit essentiellement à base de tickets de pain où on ne mange de la viande qu'en rêve. pour tenir zborowski un peu tranquille vous décidez de sortir de l'armoire de papa qui a fait du tir son smith & wesson 9 mm. le petit pan polonais ouvre grand ses yeux de veau bleus incrédules et pleins d'une considération nouvelle que vous savez ne mériter pas vraiment : il vous implore il vous ordonne de bien vouloir le laisser regarder de plus près le laisser caresser rien qu'un peu pas longtemps il promet de faire bien bien attention. vous nouez bourgeoisement la relation contractuelle après tout – flatté et longanime. zborowski ne se connaît plus. zborowski chiale presque de contentement : il ne dit pas merci il prend l'arme dans ses mains inoffensive mais inquiétante. évidemment zborowski ne peut pas s'empêcher de faire le con beaucoup de théâtre il commence à vous angoisser menu il n'écoute rien ne veut pas rendre le feu et puis le braque dans toutes les directions et puis soudain sur vous. l'engin de malheur n'est pas chargé mais zborowski vous le pointe sous le nez menaçant et fait des bruits à la gomme avec sa bouche occupée par un piège à loup. zborowski tire à vide. zborowski bande ses petits muscles increvables et délie le geste vous supprimant à répétition. zborowski vous agace et vous fait du chagrin. vous vous sentez trahi envahi d'une colère rare ou pour mieux dire biblique. votre sang clairet ne fait qu'un tour et vous dévisagez zborowski d'un regard sans âge censé désarmer arracher des vagissements muer en colonne de sel réduire en pièces à rien à néant. zborowski n'a pas peur du tout. ne bouge pas. continue de ricaner bêtement. zborowski est un animal un irresponsable une chèvre qui brait qui paît l'herbe folle et saccage les hauts plateaux. vous vous souvenez combien le grand-père de zborowski était pauvre dans son pays il savait à peine lire prétendait avoir refusé d'apprendre pour s'éviter des ennuis de justice il continuait de ne parler que l'étranger même une fois civilisé installé en france et à table becquettait des horreurs. zborowski petit-fils arriéré de paysan pas d'ici abruti de gnôle ne se rend pas compte ne percute rien du malaise qui sourd de vos genoux qui trépignent et du mal qu'il vous fait. le calibre des mains vous l'enlevez brutal à zborowski vermine polonaise qui se croit beaucoup plus costaud et habitué à la bagarre d'ordinaire. vous vous retenez par politesse de pas lui en coller une. vous ne dites rien. to najlepsz y sposob [1]. vous rouvrez l'armoire et descendez du haut bien planquée la boîte de cartouches de papa. impavide vous introduisez une balle dans l'endroit prévu à cet effet. vous relevez le chien vous faites rouler brrrzzzzzz ! le barillet vous n'expliquez pas. vous lui recollez l'arme d'un coup ensuite entre les bras à zborowski et cette fois prenez le temps d'éclaircir succinctement la situation. eh bah vas-y maintenant panie ! vas-y espèce de sale petite raclure de merde t'as qu'à tirer si c'est ça qu'tu veux montre un peu voir de quoi t'es capable si t'es un homme !… ou d'ailleurs non. vous restez calme. jestem gotow. jezeli chec pojsc za mno, idzmy, jezeli nie, bywaj zdrowa [2]. zborowski cloué pâle comme un mouchoir ne comprend pas grand chose à qu'est-ce qui arrive. zborowski stupéfait refuse d'obéir ajuster et faire feu. vous arrachez une fois encore le pistolet à zborowski qui n'oppose aucune résistance qui recule vous visez en pleine gueule. la plupart du temps vous êtes un si gentil garçon. quand on veut jouer à l'assassin zborowski faut pas hésiter – celui-là qu'hésite c'est çui-là l'mort en costume du dimanche qui attrape un goût d'terre… sans doute vous ne vous attendiez pas véritablement à ce que la balle se trouve au moment même juste dans l'alignement précis du canon. sans doute vous êtes innocent et n'envisagiez pas à proprement parler de faire des histoires en descendant cette petite ordure à demi soviétique. le recul vous brise le poignet jusqu'à la clavicule. le pétard valdingue en l'air et en prime zborowski n'a pas une égratignure. vous jouez décidément de malchance et le mur de la maison est percé d'un gros trou. vous sentez les larmes grimper mais un assassin normalement ne pleure pas. vous avez envie de vous coucher uriner dans la caisse près du chien mais les durs en principe pissent debout. la moquette par terre est couverte de plâtre pulvérisé impossible à cacher et maman ne veut pas qu'on joue avec l'aspirateur. il y a pas mal de fumée une odeur de tapage de soufre d'accident domestique qui fait qu'on tousse en plus ça sent la merde. zborowski n'est déjà plus là lui qui laisse la porte béer détalé chez les siens dans l'autre bâtiment changer de culotte et de pantalon. vous ne reverrez plus jamais zborowski. vous vous inquiétez parfois de ce qu'a pu devenir le petit pan polonais votre meilleur unique ami – quelle que soit la façon dont il s'appelle. de manière générale on va vous changer vos mauvaises habitudes. on va vous passer l'envie de charger vos camarades de vous régler votre compte. on vous laissera un ou deux souvenirs imprimés sur le cuir histoire que vous n'oubliiez plus de demander la permission avant d'aller pisser dans le linge sale de la famille. au sortir de l'hôpital vous continuerez encore un certain temps de devoir vous montrer au docteur. en rentrant papa est livide de trouver maman en larmes et des cognes à la maison qui tripatouillent son pistolet pile celui-là qu'il préfère qu'il nettoie souvent qu'il aimait bien.
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vous avez seize ans à peu près un peu moins mais ça n'a aucune espèce d'importance. vous êtes bien dans un endroit très blanc très sec vous êtes bien et tout le monde est gentil avec vous n'était l'odeur des murs des vieux et des antiseptiques. vos parents viennent vous rendre visite de temps en temps ils essaient d'être gentils eux aussi mais enfin ça va quand même. vous partagez la chambre avec un jeune dénué de cheveux les yeux caves qui doit mourir bientôt vous soupçonnez que ce soit fait exprès. le jeune aux cheveux chauves se balade en nuisette il a beaucoup de visites et ça fait du passage et des courants d'air. ses parents ont l'air si triste ils lui payent la télé dans laquelle il enfonce ses journées son regard éteint vous êtes plutôt content vous en profitez par la même occasion. ceci dit vous n'avez pas le choix des chaînes. ça vous embête un peu qu'on vous voie tout le temps en vie en chemise de nuit et qu'on vous aide à vous laver. les repas sont servis froid la plupart du temps vous êtes taraudé par l'ennui et c'est ça le plus dur. globalement vous n'avez pas à vous plaindre vous avez vos cheveux vous êtes bientôt guéri ce fut difficile mais vous savez de nouveau marcher. un médecin demande à vous voir dans son bureau. le médecin est gentil lui aussi il consulte un dossier sûrement le vôtre quand vous entrez en chaussons. il vous questionne aujourd'hui savoir si vous pensez que le temps est venu de parler de votre "geste". vous dites que s'il veut entendre l'histoire d'hier avec l'infirmière vous n'avez pas fait exprès vous êtes désolé vous vous êtes excusé vous ne recommencerez plus. il dit lui que ce n'est pas de ça qu'il s'agit : il voudrait discuter de la raison de votre présence ici ; de votre transfert peut-être sous peu dans un autre pavillon ; du suivi qui continue de s'imposer malgré votre rétablissement suite à votre volonté de mettre brutalement fin à vos jours – votre "tentative de suicide" puisqu'il faut bien appeler les choses par leur nom. vous répondez que vous n'avez jamais voulu mettre fin à vos jours ni même tenté de vous suicider quelle que soit la manière dont on appelle les choses. le docteur hoche gentiment la tête il feint aimable l'accord total il aimerait bien savoir alors pourquoi vous pensez vous qu'on vous soigne. vous expliquez au docteur c'est bien simple que vous êtes enfermé pour "utopie" et que c'est de cela qu'ici on tente de vous guérir. vous vous rappelez très bien il faisait très noir juste quelques bougies vous aviez pris les cachets. vous étiez chez sport ses parents n'étaient pas là ce jour-là il avait fourni les cachets. sport s'occupait d'anne-laure une copine à lui qui riait allongée sans vie sur le canapé il lui retirait son pantalon son slip pour qu'elle respire. vous ne vous sentiez pas très bien la musique vous tapait sur le système vous étiez tout blanc ça faisait rire-trembler anne-laure on aurait dit un cercueil vous aviez les lèvres bleues. sport était occupé vous ne vouliez pas déranger vous ne vouliez pas tomber dans les vapes il vous avait dit d'aller prendre l'air d'ouvrir un peu la fenêtre ça pouvait pas faire de mal tellement ça sentait le détenu dans l'appartement. vous ne contrôliez plus vraiment vous ne vous souvenez pas exactement vous vous étiez déplacé vous aviez réussi mais impossible de savoir comment vous vous y étiez pris pour ne pas mourir. vous aviez ouvert les rideaux la fenêtre et l'air effectivement faisait du bien vous regardiez en bas tout en bas la vie paraissait minuscule. vous regardiez en haut tout en haut les cimes enneigées des tours du quartier le temps paraissait immense vous vous étiez senti mieux. vous aviez refermé la fenêtre attendu un instant vous aviez froid un peu peur et soudain pris conscience des pouvoirs étranges en votre possession. vous aviez vérifié la fenêtre – était-elle bien refermée ? – reculé pris de l'élan et couru et sauté vous aviez traversé la vitre. vous traversiez la vitre l'air et les matériaux rien ne pouvait vous atteindre vous étiez happé par la lumière vous étiez si heureux comme nul autre avant vous vous étiez à la mesure de dieu désormais vous saviez vous pouviez voler. le médecin consulte consulte il arrange ses ongles ses cheveux rayés il se coule dans son être. il demande quelques questions sans objet qu'il prononce tissées de tranquillisants. comme il n'y a rien à dire il acquiesce il ne regarde pas dans les yeux il regarde derrière comme quelqu'un n'est pas dupe et votre visage n'est qu'un filtre. le médecin vous sourit il se veut rassurant normatif mais son sourire s'effondre. il souhaite clore l'entretien ça suffit pour aujourd'hui il demande à tout le moins si vous en retirez quelque leçon concernant l'usage des stupéfiants. vous prenez congé vous n'oubliez pas de remercier vous avez toujours été un bon garçon vous dites que oui bien entendu vous n'êtes pas si bête vous avez bien compris que le vide donne des ailes mais que ça nécessite beaucoup plus de cachets pour résoudre le problème de l'envol.
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vous avez dans les vingt-huit ans. ou vingt-cinq. ou trente-deux. quarante-sept. vous n'avez jamais vraiment fait le compte. c'est un beau jour pour se tirer une balle dans la nuque. ou sauter par la fenêtre. se jeter dans un train. aujourd'hui après toutes ces années vous vous souvenez non sans quelques efforts de votre jeunesse.
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[1] cela vaut mieux.
[2] je suis prêt. si tu veux me suivre, viens, sinon adieu.
[texte paru dans la mer gelée 2 - beau travail]
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pan ! pan !