L.239




11 octobre 2009

Ce qui se dit sous terre [6]



Sous terre





6. bémol


les paragraphes précédents

j'apporterai un bémol

j’ai rencontré au cours de mes missions

au cours du Voyage

j'ai glissé mes pas partout où

coulent les ruisseaux de la chair et de la cervelle

dans les cervelles où personne n'y voit rien

plus précisément à Ofgaaye

il me fut donné de voir par exemple

un homme

le coeur amoureux

son coeur battant comme une enclume dans sa poitrine

les parents de la jeune fille ne pouvaient faire aucune objection

il fut mené à la guerre

il y eut des crimes horribles

le souvenir de sa promise lui ravissait la peur de la chemise

un Djebril Kad captura l'homme

l'entraîna sous sa tente comme du butin

il lui donna des linges fins, de précieux scapulaires à passer

il en fit son garçon de bain, serviteur de prédilection

l'homme ne dit rien

suspendit les bijoux à son nombril

il dispensait les bains comme voulait le Djebril, il lui faisait la barbe, lui raclait les talons

il le vêtait et l'apprêtait, l'aidant matin et soir à franchir sans dommage l'eau des miroirs

le soir, il couchait au bas de la natte du maître

un souffle tiède lui venait dans le cou

le Djebril Kad, du fin bout du couteau de ses baisers, lui ôtait ses bijoux et lui rentrait dans l'âme

il ne dit rien

devint le garçon-sous-le-voile qu'on attendait

l'amour se secoua de lui comme un vêtement


+


quand le vent murmura aucunes nouvelles de son homme-coeur à son oreille

la jeune fille arracha tout de suite la vie qui fanait en elle-même

elle accrocha sa plus grosse veine à un fuseau et elle

jeta son coeur aux chats qui le dévidèrent comme une bobine

ici elle fut directement intégrée aux esprits

incorporée par Allah à son armée de derviches

le souvenir de son amour lui passe maintenant comme un nuage

quand le sabot de sa monture écrase une scolopendre ou un scorpion

elle se rappelle les deux mains comme des mites qui, vivante, s'étaient apposées sur ses yeux

elle est l'esprit intransigeant d'Allah que rien n'arrête

elle joue quelquefois à pincer nos nerfs

détachant dans le ciel des notes claires

comme celles que l'oiseau perce

lorsque le chat d'un coup de dents en défait l'organisation

elle donne à croire à des Bété qu'ils sont émancipés

qu'une mutation de la société est en cours

elle exhorte les waabal de tous bords avec des cris et s’essaie à l’éducation des masses en propageant des slogans

par l’intermédiaire de chants ou de poèmes comme par exemple :

"keeni waa ugaash ! / keeni waa addoof ! / waa inaani 'ulloownaany !" ("celui-ci est roi noble ! / celui-là est esclave ! / nous ne devons plus raisonner comme cela !")

de nouvelles lois sont promulguées

des marginaux deviennent célèbres

l'ordre établi temporairement s'inverse

la poésie s'échappe des selles sous

lesquelles nos malheurs galopent

les esprits s'interrogent


+


quant à l'homme

l'amoureux

Allah hésita un instant puis

le fit

ombre de sa fiancée

ombre qui doit courir vite

car jamais elle ne s'arrête


(à suivre)

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pan ! pan !