6. bémol
les paragraphes précédents
j'apporterai un bémol
j’ai rencontré au cours de mes missions
au cours du Voyage
j'ai glissé mes pas partout où
coulent les ruisseaux de la chair et de la cervelle
dans les cervelles où personne n'y voit rien
plus précisément à Ofgaaye
il me fut donné de voir par exemple
un homme
le coeur amoureux
son coeur battant comme une enclume dans sa poitrine
les parents de la jeune fille ne pouvaient faire aucune objection
il fut mené à la guerre
il y eut des crimes horribles
le souvenir de sa promise lui ravissait la peur de la chemise
un Djebril Kad captura l'homme
l'entraîna sous sa tente comme du butin
il lui donna des linges fins, de précieux scapulaires à passer
il en fit son garçon de bain, serviteur de prédilection
l'homme ne dit rien
suspendit les bijoux à son nombril
il dispensait les bains comme voulait le Djebril, il lui faisait la barbe, lui raclait les talons
il le vêtait et l'apprêtait, l'aidant matin et soir à franchir sans dommage l'eau des miroirs
le soir, il couchait au bas de la natte du maître
un souffle tiède lui venait dans le cou
le Djebril Kad, du fin bout du couteau de ses baisers, lui ôtait ses bijoux et lui rentrait dans l'âme
il ne dit rien
devint le garçon-sous-le-voile qu'on attendait
l'amour se secoua de lui comme un vêtement
+
quand le vent murmura aucunes nouvelles de son homme-coeur à son oreille
la jeune fille arracha tout de suite la vie qui fanait en elle-même
elle accrocha sa plus grosse veine à un fuseau et elle
jeta son coeur aux chats qui le dévidèrent comme une bobine
ici elle fut directement intégrée aux esprits
incorporée par Allah à son armée de derviches
le souvenir de son amour lui passe maintenant comme un nuage
quand le sabot de sa monture écrase une scolopendre ou un scorpion
elle se rappelle les deux mains comme des mites qui, vivante, s'étaient apposées sur ses yeux
elle est l'esprit intransigeant d'Allah que rien n'arrête
elle joue quelquefois à pincer nos nerfs
détachant dans le ciel des notes claires
comme celles que l'oiseau perce
lorsque le chat d'un coup de dents en défait l'organisation
elle donne à croire à des Bété qu'ils sont émancipés
qu'une mutation de la société est en cours
elle exhorte les waabal de tous bords avec des cris et s’essaie à l’éducation des masses en propageant des slogans
par l’intermédiaire de chants ou de poèmes comme par exemple :
"keeni waa ugaash ! / keeni waa addoof ! / waa inaani 'ulloownaany !" ("celui-ci est roi noble ! / celui-là est esclave ! / nous ne devons plus raisonner comme cela !")
de nouvelles lois sont promulguées
des marginaux deviennent célèbres
l'ordre établi temporairement s'inverse
la poésie s'échappe des selles sous
lesquelles nos malheurs galopent
les esprits s'interrogent
+
quant à l'homme
l'amoureux
Allah hésita un instant puis
le fit
ombre de sa fiancée
ombre qui doit courir vite
car jamais elle ne s'arrête
(à suivre)
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pan ! pan !