Ceux qui veulent savoir où en est la bande dessinée aujourd'hui – et je ne parle pas ici de la bande dessinée qui singe ce qui s'est fait de pire en littérature ou au cinéma, cette tentation pour l'absolue désincarnation, pour le vide complet des discours, où l'on n'y comprend rien parce qu'il ne s'y dit rien ; non, je veux parler d'une bande dessinée énergique, vivante et "corporelle", fidèle à sa fonction magique immémoriale de transmission et d'exorcisme qui l'a fait naître sur une paroi, dans la nuit d'une grotte, au coin d'un feu – ; ceux-là doivent lire le premier volet de Blast, de Manu Larcenet, auquel s'ajouteront quatre autres volumes à venir.
Fils d'un immigré italien communiste à corps sec, à l'immense bec d'oiseau, Polza Mancini – Polza pour "POmni Leninskie ZAvety" (souviens-toi des préceptes de Lénine) – est un homme seul, très seul, obèse, paraît-il écrivain : en tout l'opposé de ce père au nez de médecin de la peste, mort et bien mort à présent.
Polza Mancini a commis un crime, un crime dont on ne sait rien, mais dont l'unique objet paraît loger de toute façon dans un placement en garde à vue où il puisse livrer sa confession.
Cette confession n'est pas vraiment du goût des policiers, visiblement perturbés par le récit des obsessions de cet ogre fragile, hanté et asocial, et qui après la mort du père, au cours d'une cuite métaphysique relevée de forts médicaments, s'est vrillé le cerveau jusqu'à connaître le "Blast", instant de saisissement où la graisse est légère, où la vie est parfaite, et qui décide de tout.
De grands lavis noirs, des encrages somptueux, des traits précis traversés d'incongruités venues comme des grosseurs de l'inconscient, de rares couleurs en forme de dessins d'enfant pour faire sentir la grâce d'une illumination : tous ces éléments font la beauté des planches de Larcenet et servent parfaitement son passionnant récit existentiel où bien malin qui sait au fond où il mènera.
Oui, superbe « Blast ». Et pas vraiment étonné de le trouver ici. On l’ajoute dans la bibliothèque avec les Marc-Antoine Mathieu (indispensables Julius-Corentin Aquefaque, et le nom de famille verlan n’est pas là pour rigolade).
RépondreSupprimerÀ lire si tu ne connais pas « l’art invisible » de Scott McLoud, analyse naturellement dessinée de ce qu’est la BD, ses principes, ses buts, ses aspirations. Et ce sentiment le lisant d’écrire, moi, entre les cases, aussi.
Merci de ces précisions.
RépondreSupprimerJe vais aller voir du côté de Mathieu.
Scott McCloud, ç'a l'air intéressant, mais je n'aime pas du tout le dessin. Un peu trop intellectualisé à mon goût.
Le dessin de Scott McCloud n’a absolument aucun intérêt… c’est l’analyse qu’il fait de ce qu’est la BD qui est intéressante.
RépondreSupprimerLa série des Julius Corentin Acquefacques de Mathieu, c’est aussi une réflexion sur la BD, en fait, mais là, le trait et le récit sont superbes, avec une inventivité et une maitrise de l’« outil BD » rare.
Donc l’un est une BD, l’autre un ouvrage théorique dessiné. Rien à voir, en effet.
Bon, dans ce cas j'irai voir les deux !
RépondreSupprimer