J'entends dire que le vagal Nicolas Sarkozy et son ministre de la police Hortefeux dirigeraient à présent leurs baves contre les Rroms et les gens du voyage.
J'avoue être peu attentif, d'ordinaire, aux attaques nerveuses et aux crachements coprolaliques des demi-aliénés qu'on laisse nous gouverner. La maladie est ancienne en France, et je sais à quoi m'en tenir. Mais je dois dire que, pour cette fois, j'ai été frappé d'une certaine coïncidence.
Je lis avec passion le Journal d'un bourgeois de Paris, chronique méticuleuse et stupéfiante écrite en style bien merveilleux des événements grands ou petits (le procès de Jeanne d'Arc, le prix du hareng ou du pain) qui émaillèrent la vie des Parisiens sous les règnes de Charles VI et Charles VII.
L'auteur du livre est anonyme. Mais il ne fut aucunement "bourgeois", selon le sens de l'époque : plutôt curé ou chanoine du chapitre de Notre-Dame. Une théorie toujours en vogue veut voir dans le Bourgeois de Paris un certain Jean Chuffart : personnage ecclésiastique influent, chambrier du chapitre, chancelier de l'Université et serviteur de la reine Isabeau, cumulant les prébendes tirées de ses offices. Mais l'hypothèse cadre mal avec le journal et le mode de vie du Bourgeois, qui s'inquiète des prix lorsqu'il fait son marché, prend le temps d'admirer le ciel et ses bourrasques et ses tempêtes, arpente le pavé sous la pluie lors d'infinies processions, côtoie le commun de la capitale et en épouse les positions. Dans la guerre civile qui sévissait alors, Chuffart était certes du parti anglo-bourguignon, comme notre auteur, mais certainement pas pour les mêmes raisons. Le Bourgeois est un peu prêtre ouvrier avant l'heure, et même théologien marxiste de la libération. Et s'il abomine les Armagnacs, c'est qu'il y voit une clique de nobles et de richards n'ayant d'autre projet que de vivre aux crochets du peuple, toujours assommé sous leur gouvernance de taxes et d'impôts. Le "bon duc" de Bourgogne, à l'inverse, lui paraît plus être "ami du commun", des pauvres et des petits, capable de s'émouvoir comme lui de la pauvresse qui se prostitue pour manger, du jeune homme sans avenir obligé à faire le bougre, de l'enfance désolée par la misère et le froid et la peste.
Mais voici la page sur laquelle je tombe. Nous sommes en 1427. Les Bohémiens sont installés aux portes de la ville, à la Chapelle.
"Item, quand ils furent à la Chapelle, on ne vit oncques plus grande allée de gens à la bénédiction de la foire du Lendit que là allait de Paris, de Saint-Denis et d'entour Paris pour les voir. Et vrai est que les enfants d'iceux étaient tant habiles fils et filles pour bateler que nuls plus, et le plus et presque tous avaient les deux oreilles percées, et en chacune oreille un anel d'argent ou deux en chacune, et disaient que c'était gentillesse en leur pays.
Item, les hommes étaient très noirs, les cheveux crépés, les plus laides femmes qu'on pût voir et les plus noires ; toutes avaient le visage déplaié, cheveux noirs comme la queue d'un cheval, pour toute robe une vieille flaussaie très grosse d'un lien de drap ou de corde liée sur l'épaule, et dessous un pauvre roquet ou chemise pour tout parement. Bref, c'étaient les plus pauvres créatures qu'on vit venir en France d'âge d'homme. Et disait-on que néanmoins leur pauvreté, en la compagnie avaient sorcières qui regardaient ès mains des gens et narraient ce qui advenu leur était ou à advenir, et mirent contens en plusieurs mariages, car elles disaient au mari : 'Ta femme t'a fait cocu', ou à la femme : 'Ton mari t'a fait coulpe'. Et qui pis était, en parlant aux créatures, par art magique, ou autrement, ou par l'ennemi d'enfer, ou par entregent d'habileté, faisaient vider les bourses aux gens et le mettaient en leur bourse, comme on disait. Et vraiment, j'y fus trois ou quatre fois pour parler à eux, mais oncques ne m'aperçus d'un denier de perte, ni ne les vis regarder en main, mais ainsi le disait le peuple partout, tant que la nouvelle en vint à l'évêque de Paris, lequel y alla et mena avec lui un frère mineur, nommé le Petit Jacobin, lequel par le commandement de l'évêque fit là une prédication, en excommuniant tous ceux et celles qui ce faisaient et qui avaient cru et montré leurs mains. Et convint que les Bohémiens s'en allassent, et se partirent le jour de Notre-Dame en septembre, et s'en allèrent".
On relève, in fine, qu'en France les méthodes sont éprouvées : hier comme aujourd'hui, il était immanquable, en temps de crise, que les crapules officielles ayant droit de police s'intéressassent d'un peu près, par l'effet d'une rumeur, à une poignée d'êtres étranges et pour tout dire excédentaires puis leur fissent débarrasser le plancher. Ceci parce qu'il est bon, lorsque les temps sont durs, de préférer l'ombre à la proie et réparer des préjudices imaginaires pour rasseoir une autorité.
Pour le reste, il faut saluer la probité du Bourgeois. Nous sommes en plein démêlé de Cent Ans, période de boucheries et d'horreurs qui n'incite pas à la retenue ni à la tolérance. L'homme a eu, comme tout le monde, les oreilles remplies de ces "Egyptiens" fraîchement venus, qu'on dit tous canailles ou vipères s'adonnant d'abondance à l'art démoniaque de vous fourailler dans les poches. Il décide d'y aller voir soi-même. Il y va. Il leur cause, se frotte à eux. Il les estime fort laids. Mais ne constate ni vols, ni regards défendus dans l'intérieur des mains. Il le dit bien franchement.
A l'opposé, je relève le commentaire très superflu et très imbécile laissé en bas de page au même endroit par le scoliaste de l'édition que j'ai. Ce dernier – cette dernière, devrais-je dire, puisqu'il s'agit d'une dame faisant profession d'historienne – cette dernière, donc, tandis que le Bourgeois évoque l'absence de vol subi par lui ou observé chez aucun autre, pense devoir expliquer la chose en écrivant que c'est sûrement en vertu de sa qualité de curé que l'intéressé a pu être préservé des pickpockets et des agissements des sorcières tsiganes...
Les préjugés ne datent pas d'hier. Ils ont en plus une santé d'athlète.
J'avoue être peu attentif, d'ordinaire, aux attaques nerveuses et aux crachements coprolaliques des demi-aliénés qu'on laisse nous gouverner. La maladie est ancienne en France, et je sais à quoi m'en tenir. Mais je dois dire que, pour cette fois, j'ai été frappé d'une certaine coïncidence.
Je lis avec passion le Journal d'un bourgeois de Paris, chronique méticuleuse et stupéfiante écrite en style bien merveilleux des événements grands ou petits (le procès de Jeanne d'Arc, le prix du hareng ou du pain) qui émaillèrent la vie des Parisiens sous les règnes de Charles VI et Charles VII.
L'auteur du livre est anonyme. Mais il ne fut aucunement "bourgeois", selon le sens de l'époque : plutôt curé ou chanoine du chapitre de Notre-Dame. Une théorie toujours en vogue veut voir dans le Bourgeois de Paris un certain Jean Chuffart : personnage ecclésiastique influent, chambrier du chapitre, chancelier de l'Université et serviteur de la reine Isabeau, cumulant les prébendes tirées de ses offices. Mais l'hypothèse cadre mal avec le journal et le mode de vie du Bourgeois, qui s'inquiète des prix lorsqu'il fait son marché, prend le temps d'admirer le ciel et ses bourrasques et ses tempêtes, arpente le pavé sous la pluie lors d'infinies processions, côtoie le commun de la capitale et en épouse les positions. Dans la guerre civile qui sévissait alors, Chuffart était certes du parti anglo-bourguignon, comme notre auteur, mais certainement pas pour les mêmes raisons. Le Bourgeois est un peu prêtre ouvrier avant l'heure, et même théologien marxiste de la libération. Et s'il abomine les Armagnacs, c'est qu'il y voit une clique de nobles et de richards n'ayant d'autre projet que de vivre aux crochets du peuple, toujours assommé sous leur gouvernance de taxes et d'impôts. Le "bon duc" de Bourgogne, à l'inverse, lui paraît plus être "ami du commun", des pauvres et des petits, capable de s'émouvoir comme lui de la pauvresse qui se prostitue pour manger, du jeune homme sans avenir obligé à faire le bougre, de l'enfance désolée par la misère et le froid et la peste.
Mais voici la page sur laquelle je tombe. Nous sommes en 1427. Les Bohémiens sont installés aux portes de la ville, à la Chapelle.
"Item, quand ils furent à la Chapelle, on ne vit oncques plus grande allée de gens à la bénédiction de la foire du Lendit que là allait de Paris, de Saint-Denis et d'entour Paris pour les voir. Et vrai est que les enfants d'iceux étaient tant habiles fils et filles pour bateler que nuls plus, et le plus et presque tous avaient les deux oreilles percées, et en chacune oreille un anel d'argent ou deux en chacune, et disaient que c'était gentillesse en leur pays.
Item, les hommes étaient très noirs, les cheveux crépés, les plus laides femmes qu'on pût voir et les plus noires ; toutes avaient le visage déplaié, cheveux noirs comme la queue d'un cheval, pour toute robe une vieille flaussaie très grosse d'un lien de drap ou de corde liée sur l'épaule, et dessous un pauvre roquet ou chemise pour tout parement. Bref, c'étaient les plus pauvres créatures qu'on vit venir en France d'âge d'homme. Et disait-on que néanmoins leur pauvreté, en la compagnie avaient sorcières qui regardaient ès mains des gens et narraient ce qui advenu leur était ou à advenir, et mirent contens en plusieurs mariages, car elles disaient au mari : 'Ta femme t'a fait cocu', ou à la femme : 'Ton mari t'a fait coulpe'. Et qui pis était, en parlant aux créatures, par art magique, ou autrement, ou par l'ennemi d'enfer, ou par entregent d'habileté, faisaient vider les bourses aux gens et le mettaient en leur bourse, comme on disait. Et vraiment, j'y fus trois ou quatre fois pour parler à eux, mais oncques ne m'aperçus d'un denier de perte, ni ne les vis regarder en main, mais ainsi le disait le peuple partout, tant que la nouvelle en vint à l'évêque de Paris, lequel y alla et mena avec lui un frère mineur, nommé le Petit Jacobin, lequel par le commandement de l'évêque fit là une prédication, en excommuniant tous ceux et celles qui ce faisaient et qui avaient cru et montré leurs mains. Et convint que les Bohémiens s'en allassent, et se partirent le jour de Notre-Dame en septembre, et s'en allèrent".
On relève, in fine, qu'en France les méthodes sont éprouvées : hier comme aujourd'hui, il était immanquable, en temps de crise, que les crapules officielles ayant droit de police s'intéressassent d'un peu près, par l'effet d'une rumeur, à une poignée d'êtres étranges et pour tout dire excédentaires puis leur fissent débarrasser le plancher. Ceci parce qu'il est bon, lorsque les temps sont durs, de préférer l'ombre à la proie et réparer des préjudices imaginaires pour rasseoir une autorité.
Pour le reste, il faut saluer la probité du Bourgeois. Nous sommes en plein démêlé de Cent Ans, période de boucheries et d'horreurs qui n'incite pas à la retenue ni à la tolérance. L'homme a eu, comme tout le monde, les oreilles remplies de ces "Egyptiens" fraîchement venus, qu'on dit tous canailles ou vipères s'adonnant d'abondance à l'art démoniaque de vous fourailler dans les poches. Il décide d'y aller voir soi-même. Il y va. Il leur cause, se frotte à eux. Il les estime fort laids. Mais ne constate ni vols, ni regards défendus dans l'intérieur des mains. Il le dit bien franchement.
A l'opposé, je relève le commentaire très superflu et très imbécile laissé en bas de page au même endroit par le scoliaste de l'édition que j'ai. Ce dernier – cette dernière, devrais-je dire, puisqu'il s'agit d'une dame faisant profession d'historienne – cette dernière, donc, tandis que le Bourgeois évoque l'absence de vol subi par lui ou observé chez aucun autre, pense devoir expliquer la chose en écrivant que c'est sûrement en vertu de sa qualité de curé que l'intéressé a pu être préservé des pickpockets et des agissements des sorcières tsiganes...
Les préjugés ne datent pas d'hier. Ils ont en plus une santé d'athlète.
salut,
RépondreSupprimerMerci pour ce papier.
un docu à voir en ligne :
http://owni.fr/2010/08/15/le-vrai-temps-des-gitans/
Merci de l'information , je vais aller voir.
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