"Le mot nu
ment comme une fille aux petits seins.
Pas Circé et ses seins pointus, pas Calypso et ses seins ronds, Pénélope, oublions-la. Plutôt Nausicaa, aux beaux bras, aux blanches mains, aux petits seins.
Blanche-Neige aussi avait de petits seins. La Belle au bois dormant aussi. Cendrillon, n'en parlons pas. Les héroïnes de conte de fées ont de petits seins, c'est une certitude.
Je dis 'de petits seins', il faut comprendre 'de petits seins adorables'. Si adorables que l'ont veut y poser délicatement les mains, les lèvres, la langue. Ca va commencer ainsi. Par une main qui se pose délicatement sur de petits seins. Par mégarde ma langue touche le petit sein."
Emmanuel Régniez,
L'ABC du Gothique
Je connais un peu personnellement Emmanuel Régniez, assez pour savoir qu'il aime les petits seins, qu'il lit Tony Duvert avec ferveur, qu'il sait par ses méandres le Japon, en bref que c'est un homme de bien.
Cela faisait un petit temps que je voulais dire un mot de son
ABC du Gothique, genre de livre fétichiste plein de fiches, de collages et de citations paru au mois de mai dernier aux éditions du Quartanier. Genre d'anti-conte de fées suicidaire, spectral, érotique, nostalgique, gothique on s'en doute, documentaire.
Mais on n'est jamais si bien servi que par les autres, et d'
autres justement s'en sont chargés avec beaucoup de métier avant moi. Par surcroît, Régniez lui-même vient de donner quelque part une notice en forme de
making off qui précise assez correctement les choses, je trouve.
Je reproduis (pour partie) :
J’ai toujours eu une grande admiration pour ce que l’on appelle le roman gothique. Lectures faites assez jeune, à la suite de celle du Château d’Argol
de Julien Gracq. (...)
Pour moi le gothique était la littérature. Il irradiait de manière souterraine, mais constante toute la littérature qui m’intéressait et qui continue à m’intéresser.
Il y a cinq ans, j’habitais encore à Tokyo. (Et on trouve tout à Tokyo [c’est connu]). En juillet 2007, je suis tombé, chez un bouquiniste, sur la thèse d’État en deux volumes de Maurice Lévy : Le Roman gothique anglais (1764-1824)
. J’habitais à Tokyo et je n’avais pas ma bibliothèque et je lisais ce que je trouvais sur place ou ce que l’on m’envoyait. Je lisais, je prélevais des citations de mes différentes lectures, et je tentais alors, maladroitement, de les organiser. Je n’avais pas encore d’idée précise sur le sujet à aborder. Je sentais qu’il fallait que je trouve un lien. La thèse de Lévy m’a permis de resserrer mon propos sur le gothique, sur ce genre, qui parcourait déjà ce que j’écrivais : les premières versions des "fantaisies" dans L’ABC du Gothique
, écrites avant, pendant et après. La thèse de Lévy m’a donné – ou plutôt redonné – le cadre dans lequel j’allais pouvoir jouer.
(...)
J’ai toujours aimé les citations, jouer avec elles, non pas pour faire savant ou malin, mais parce que je pense que nous sommes habités par elles. Je crois que l’intertextualité est à la base de tout travail d’écriture, de toute littérature.
Travailler à partir de citations ne pouvait se faire sans penser au formidable ouvrage de Jacques-Henri Michot : L’ABC de la Barbarie
(éd. Al Dante), qui est pour moi un des livres majeurs de poésie de ces vingt dernières années.
Et c’est en juillet 2008, dans le TGV Paris-Bordeaux, que j’ai décidé de prendre comme titre : L’ABC du Gothique
. Et puis je pensais à L’ABC de la Guerre
de Brecht. Et je pensais à L’ABC de la Lecture
de Pound. Je voyais, dans ce train qui filait de Paris à Bordeaux, mon livre en formation prendre place aux côtés de ceux-ci.
J’organisais mes fiches par thème (et par ordre alphabétique), et je les annotais, non pas pour expliquer, mais pour, en notes, raconter une autre histoire, celle d’un personnage, Simon, qui était celui qui avait recopié les citations. Cette façon de faire a été la mienne jusqu’en juin 2009, où je pensais en avoir fini. Mais dans l’ensemble, cette idée ne fonctionnait pas, cela brouillait les lignes de narration inutilement. J’ai alors décidé de disposer différemment l’ensemble. Les parties plus narratives (liées à l’ami), seraient mises à part. Les annotations et remarques seraient décalées, mais liées aux fiches. Les "fantaisies" viendraient aussi, à part.
Il y avait le problème narratif – celui du récit. Je savais que cet ensemble de fiches ne pouvait se suffire à lui-même. Il me fallait trouver un lien / un ciment entre elles. Ce fut Simon Melmoth, son suicide, cette date mystérieuse qu’il inscrit au dos des fiches. Du "narratif", certes, mais au minimum. Et aller aussi dans le genre gothique, le personnage mystérieux, la mort mystérieuse, une énigme (la date). Et qu’ensuite viennent les spectres. (...)
J’ai toujours pensé et vu L’ABC du Gothique
comme une réalisation finie et un making off
. J’ai toujours travaillé sur L’ABC
comme s’il était à la fois une œuvre finie et ouverte, pouvant se développer à l’infini, pouvant se développer à droite et à gauche, sans s’arrêter. (...) Ce projet est un projet de captation, de remontage de la littérature. Commencer par le roman gothique, parce qu’il est le point de départ du roman moderne ; sans lui, pas de Balzac, par exemple. Et puis, pensez à Breton et au surréalisme. Pensez à Gombrowicz et aux Envoutés
. Pensez à Burroughs et au Festin nu
. Pensez à Pynchon et à L’Arc-en-ciel de la gravité
. Pensez à Gaddis et à Gothique charpentier
. Pensez à Nabokov et à Ada ou l’ardeur
. Etc.
Pendant deux ans, j’ai été Simon Melmoth. J’ai été celui qui démonte le genre, qui le met en fiches… J’ai aimé cet hétéronyme ; je l’aime toujours.
Pendant deux ans, j’ai démonté puis remonté le roman gothique. Et je l’ai dysposé (au sens de Didi-Huberman) en cette forme, nouvelle, qu’est L’ABC du Gothique
. (...)
Pendant deux ans tout était gothique. Pendant deux ans, chaque livre lu pouvait se retrouver lié au genre gothique. Car (et pour paraphraser Francis Ponge) : ouvrez un roman gothique ! et voilà toute la littérature retournée comme un parapluie ! Fermez un roman gothique ! et tout, aussitôt, se remet en place…
Pendant deux ans j’ai braconné sur les terres du roman gothique.
Il ne s'est jamais agi pour moi de faire un ouvrage universitaire, il ne s'est jamais agi non plus de faire un roman, une vraie fiction je veux dire. Il a toujours été question de faire ce qu’est ce livre, un objet qui circule aimablement entre les formes et les genres, qui joue avec le lecteur et avec lequel le lecteur peut jouer. Il ne s'est jamais agi pour moi de faire un livre exhaustif sur ce genre ou d’en proposer une nouvelle analyse – même si aujourd’hui, je serais tenté de montrer la véritable influence du genre sur la littérature.
Pendant l’été 2009, pour des raisons personnelles, j’ai passé l’été à Tokyo. Pendant ces deux mois de longues vacances, je suis allé tous les matins (ou presque) à la bibliothèque de la Maison française, pour y travailler. Lire, relire ce que j’avais écrit. Vérifier, revérifier chaque citation. Me plonger et me replonger dans la lecture de Derrida et de Lacan. Polir chaque fiche. M’assurer que le nouveau montage tenait la route, ou non. (...) Finalement j’ai toujours voulu que ce livre soit comme une maison hantée : par des fantômes, par des écrivains, par des figures, par des thèmes et des motifs. (...)
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