les morts sont parfois d'une stupéfiante vitalité. c'est vrai surtout des morts mexicains. au mexique, ça ne dérange pas les vivants toute cette agitation des trépassés, ils y sont habitués. les vivants n'oublient jamais leurs morts au mexique. ils portent des masques lors des fêtes du sang-précieux, pour les rappeler à eux. ils font sortir les transis de leur tanière, et ils les saoulent à force de boire à leur santé. ils trinquent avec, et leur font même garder les chèvres aux trop fortes chaleurs. ils leur confient comme ça divers travaux domestiques, ce qui permet de se reposer un peu. car le travail et la nature sont durs au mexique, qui contribuent d'ailleurs à rapprocher les morts et les vivants.
quelquefois les disparus se rebiffent, mais c'est assez rare. des onguents dont on a le secret gardent de telles apocalypses. quand les âmes excessives se font violentes, on les apaise. on huile leur sépulture et on s'enivre en reniflant de la colle. une vieille femme s'accoutre d'une fourrure de chien et offre aux trépassés à paître des aromates. dans les cas vraiment graves, une jeune fille qui a justement ses lunes couche avec chaque mort glacé qui se présente. au petit matin, on jette ses viscères pleins en pâture au soleil. dans les cas encore pires, un homme se lève et trace des écritures avec une livre de son sang qu'il fait bénir. il intitule son document pedro páramo.
on n'en fait pas toute une histoire de la mort au mexique. on connaît la vraie valeur des vies. tout ce qu'on demande, c'est qu'une fois l'an sous terre les morts intercèdent et fassent tomber l'eau précieuse.
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à nous chrétiens, tout ceci ferait honte à voir ; et nos natures plus délicates supporteraient mal de sentir ainsi les morts nous rôder autour. pour cette raison, peut-être, les vivants sont à l'inverse, en occident, d'une extrême morbidité.
flaubert, dont il faut relire la bovary, en fournit l'exacte démonstration : y circulent tout un froid carnaval de squelettes en grande toilette, de grands veaux pourrissants sur les pattes, et de mannequins de cire frigides. tous vivants, tous morts.
c'est le grand roman de la france, où l'homme et la femme sont ignoblement décrits, mais de bien complète façon. tous les ordres y sont réunis, et chacun peut y trouver peinte la nature de français historique qu'il s'est choisie, ou qu'il a enfilée comme un destin.
deux encoches particulières dans le bouquin.
une mention spéciale, d'abord, revient au personnage du mendiant aveugle, dément parfait, retrouvant une conscience sociale et de saines capacités de voyage après que le pharmacien homais lui a promis de lui passer gratuitement une pommade. on ne saurait résumer mieux les déambulations métaphysiques des vivants-morts de toutes classes qui hantent le livre, de même que ce monde-ci.
c'est ensuite le second suicide, réussi, d'emma. réussi parce que réussi, à tous points de vue. moment intense de dépense et de possession. vient tout de suite après le grand défilé hystérique des automates, des vivants contrefaits qui courent en visite se repaître du spectacle de l'agonisante. emma, ici, apparaît en prêtresse tibétaine, en pleine extase, empoisonnée de religion d'amour de la souffrance.
je reproduis, pour partie, le passage extrême :
le prêtre se releva pour prendre le crucifix ; alors elle allongea le cou comme quelqu'un qui a soif, et, collant ses lèvres sur le corps de l'homme-dieu, elle y déposa de toute sa force expirante le plus grand baiser d'amour qu'elle eût jamais donné. ensuite, il récita le misereatur et l'indulgentiam, trempa son pouce droit dans l'huile et commença les onctions : d'abord sur les yeux, qui avaient tant convoité toutes les somptuosités terrestres ; puis sur les narines, friandes de brises tièdes et de senteurs amoureuses ; puis sur la bouche, qui s'était ouverte pour le mensonge, qui avait gémi d'orgueil et crié dans la luxure ; puis sur les mains, qui se délectaient aux contacts suaves, et enfin sur la plante des pieds, si rapides autrefois quand elle courait à l'assouvissance de ses désirs, et qui maintenant ne marcheraient plus.
[...] sa poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement. la langue tout entière lui sortit de la bouche ; ses yeux, en roulant, pâlissaient comme deux globes de lampe qui s'éteignent, à la croire déjà morte, sans l'effrayante accélération de ses côtes secouées par un souffle furieux, comme si l'âme eût fait des bonds pour se détacher. félicité s'agenouilla devant le crucifix, et le pharmacien lui-même fléchit un peu les jarrets, tandis que m. canivet regardait vaguement sur la place. bournisien s'était remis en prière, la figure inclinée contre le bord de la couche, avec sa longue soutane noire qui traînait derrière lui dans l'appartement. charles était de l'autre côté, à genoux, les bras étendus vers emma. il avait pris ses mains et il les serrait, tressaillant à chaque battement de son coeur, comme au contrecoup d'une ruine qui tombe. à mesure que le râle devenait plus fort, l'ecclésiastique précipitait ses oraisons ; elles se mêlaient aux sanglots étouffés de bovary, et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des syllabes latines, qui tintaient comme un glas de cloche.
[...] une convulsion la rabattit sur le matelas. tous s'approchèrent. elle n'existait plus.
on le voit, la justice est sauve à la fin. l'ordre honnête a repris ses droits et créances. emma fut là pour servir d'exemple. la france n'est pas le mexique. et les frasqueuses et les frasqueux seront punis de mort qui auront voulu renverser le cours des choses. happy end.
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pan ! pan !