L.239




24 mars 2012

Les andouilles, la guerre, Camus, Duvert


Deux andouilles combattantes


"Andouilles sont andouilles, tousjours doubles et traistresses. Adoncques se lieve Pantagruel de table, pour descouvrir hors la touche de boys ; puys soubdain retourne, et nous asseure avoir a guausche descouvert une embuscade d'andouilles farfelues, et du cousté droict, a demie lieue loing de la, ung gros bataillon d'aultres puissantes et gigantales andouilles, le long d'une petite colline, furieusement en bataille marchantes vers nous au son des vezes et piboles, des guogues et des vessies, des joyeulx pifres et tabours, des trompettes et clairons. Par la conjecture de soixante et dixhuyct enseignes qu'il y comptoyt, estimions leur nombre n'estre moindre de quarante et deux mille. L'ordre qu'elles tenoyent, leur fier marcher et faces asseurees, nous faisoyent croire que ce n'estoyent friquenelles, mais vieilles andouilles de guerre."

François Rabelais, Quart Livre



Je lis que Renaud Camus, cette vieille andouille, a fait encore des siennes. Je ne résiste pas, pour l'occasion, à reproduire un document bien drôle, aujourd'hui difficilement trouvable, que j'ai la chance d'avoir dans mes cartons. Il s'agit d'une "mise au point" donnée en son temps par Duvert, qui dans un style tout célinien et moyennement affable, mi-ricanant mi-vraiment en colère, révèle comment Camus a dès longtemps vécu et écrit comme une punaise, un "fou miteux", un imposteur. Je sais bien : ça n'a que peu de rapport avec l'affaire du jour. Mais tant pis, à la guerre comme à la guerre, et aucun bois n'est assez bastonnant contre l'agression d'une andouille, espèce dont Rabelais nous dit bien qu'on ne la combat jamais trop durement, car même "le serpent qui tenta Eve estoyt andouillicque ; ce nonobstant est de luy escript qu'il estoyt fin et cauteleux sus touts aultres animans. Aussi sont andouilles."


+ + +

"Chers tous,

Dans sa chronique du numéro 53, monsieur Camus a jugé bon de vous exposer un différend que nos éditeurs avaient réglé en 1982. Il a eu tort : car sa version des faits est si grotesque que je me dois de rétablir la vérité. Elle n'est pas à son honneur, vous allez le voir.

Depuis des années, un crétin littéraire m'importune de sa folie. Il me cite, m'imite, publie des sous-produits de mes livres, joue avec mon nom, se prend pour moi sans pouvoir l'être. Un fou, miteux, sournois, lèche-cul, risible, minuscule : mais un fou.

Certes, cela m'agaçait ; mais c'était trop dérisoire pour que j'y réagisse : on savait bien ce que valait le pauvre bougre, j'aurais perdu mon temps. Qu'une nullasse 'bien parisienne' (ces auteurs-là sont parisiens comme les capotes sont anglaises), qu'un quelconque 'Renaud Camus' me privilégie de ses collantes assiduités, c'est l'un des petits malheurs de toute vie, comme sont les mouches, les morpions, les moustiques, les furoncles, les puces, les punaises, les échardes du bois, les étrons du trottoir. Ca vous colle aux semelles, c'est mou, ça pue, on est triste. On oublie. Mais, l'an dernier, la monomanie que me voue monsieur Camus a vraiment passé les bornes. Et d'une, il publie un essai (
Notes achriennes) qui n'est qu'un digest de mon Enfant au masculin, noyé dans sa lavasse. Et de deux, il donne un Eté indiciblement nul, qui est donc tout entier de sa main, mais qu'il fait cosigner par un imaginaire 'Denis Duvert'. Le vol d'un texte s'appelle un plagiat ; le décalque d'un nom connu s'appelle contrefaçon.

Ces choses-là sont évidemment contraires aux usages et aux lois. Aussi l'éditeur de M. Camus, la maison Hachette, a immédiatement fait droit aux protestations de mon éditeur. La réparation du double délit s'est faite à l'amiable. M. Camus, qui risquait tout simplement la saisie de ses deux ouvrages, sans compter une bonne raclée, s'en est donc sorti tout à l'avantage de ses finances et de ses fesses. On ne l'a même pas menacé de l'asile. Il pourrait nous en savoir gré, il me semble.

Mais non : voici qu'à présent (sa chronique du 22 janvier) il joue les victimes ! Quel incroyable estomac ! Selon lui, les emprunts massifs qu'il m'a faits ne sont pas du pillage, mais un
'hommage admiratif' : et il faut être, dit-il, un 'critique imbécile' pour oser supposer que le nom 'Denis Duvert' ressemble au mien. Et moi, je suis d'une cupidité inouïe, d'avoir exigé 'une petite fortune' pour sanction d'un plagiat.

D'abord, si M. Camus trouve que ça lui coûte trop cher de faire ses livres avec les miens, qu'il en recopie d'autres ! Ce ne sont pas les auteurs bon marché qui manquent. Ensuite, je n'ai pas la chance d'être cet écrivain avide, férocement jaloux de sa propriété littéraire et de son nom, que M. Camus invente. Encore un faux 'Duvert' (ou 'Duparc' ?) que nous lui devrons, le pauvre pitre.

Car M. Camus, dans son désir de vous informer loyalement, n'oublie qu'un détail vulgaire et subalterne. Oui : figurez-vous qu'il a piqué mes textes et mon nom
sans m'en demander la permission, sans m'en prévenir, sans même m'adresser les livres qu'il avait ainsi fabriqués. Espérait-il que je n'en saurais jamais rien ? Il a agi à mon insu, et, voyez comme ce petit-là est pudique, il a soigneusement évité que je découvre les fameux 'hommages admiratifs' qu'il me rendait... Quel timide amoureux j'avais là !

Et un sans-gêne aussi énorme m'a révolté. Moi, je laisse très volontiers reproduire, adapter, utiliser ce que j'écris : et je ne demande pas un sou (de même, mes chroniques de
Gai Pied étaient, bien sûr, bénévoles). Seulement voilà : c'est gratuit parce que c'est consenti à des hommes dont j'estime la personne et le talent. Et tous, bien entendu, me préviennent, et me communiquent le résultat de leur travail. C'est la plus simple des honnêtetés, des courtoisies.

M. Camus, lui, n'en a rien fait : et pour cause. Il devinait que je lui aurais refusé toute permission d'employer mes écrits et mon nom. Et il n'avait aucun usage honnête à en faire. Il a donc préféré agir sans me consulter jamais, et il nous a placés ensuite, mon éditeur et moi, devant le fait accompli. Volé dans mon oeuvre, ridiculisé et humilié dans ma signature, aurais-je l'amour-propre trop chatouilleux ?

M. Camus a, de son côté, la vanité si aiguë que, dit-il, le tutoiement d'un lecteur le blesse comme une agression. Il est autrement moins délicat quand il prétend s'emparer de mes écrits et m'accoupler à ses gribouillages. Là, la pire violence ne l'embarrasse plus. Vous admirerez aussi avec quelle noble élégance notre auteur traite d'imbécile le seul critique (Gilles Pudlowsky) qui ait fait son éloge. Pudlowsky, certes, a été bien léger d'encenser un Camus à deux reprises (
Nouvelles Littéraires, Paris-Match) : mais nul n'est infaillible, et je gage que c'est là une erreur qu'il ne commettra plus jamais...

Et, si G. Pudlowsky a cru que 'Denis Duvert' c'était moi, il ne faisait qu'enfoncer une porte que M. Camus avait largement ouverte. Lui qui a construit ce malentendu, cette imposture ; lui qui a tout mis en oeuvre pour qu'on suppose que j'avais pu tremper dans ses misérables coliques. Si, demain, un fabricant de nouilles les vend dans un paquet jaune à damier bleu qui portera, en lettres rouges, la marque Lustuglu, on confondra avec les Lustucru, les vraies. Et monsieur Lustucru traînera Lustuglu en justice. Et si les pâtes Lustuglu sont mauvaises, le préjudice n'en sera que plus grave : monsieur Lustucru sera jugé très durement atteint dans l'excellente réputation que lui font les familles. M. Camus, qui m' 'admire' tant qu'il me fait signer son immangeable tas de pâte à papier, m'a infligé un préjudice tout semblable.

Et ce préjudice moral est surtout insupportable en ceci : on a pu croire que j'étais le complice, le collaborateur, l'ami, le coquin, de l'un des plus plats d'entre les crapauds gribouilleurs qui croupissent dans nos mares littéraires. On l'a cru, oui : et j'en ai eu une terrible honte auprès de mes amis : comment pouvais-je à la fois les aimer et connaître un Camus ? Quelle insulte pour eux, quelle salissure. Il devenait alors essentiel qu'un démenti énergique vienne manifester que je n'avais rien de commun avec M. Camus. Lequel – dois-je le redire ? – n'a échappé que de très peu à des représailles beaucoup plus musclées, et pas du tout légales. Je lui laisse à deviner lesquelles ; je le préviens qu'elles tomberont s'il récidive.

Je continue de ressentir ses tripotages comme on ressent l'humiliation et la blessure d'un viol. Les procès le montrent : les violeurs, eux qui laissent dans leur victime une trace d'une profondeur immonde, ne sont pas des surmâles, des forts : ce sont des flasques, des paumés, des abrutis, fades, stupides, moches et mornes, des paillassons, des pauvres types. Extraordinairement inférieurs à ce qu'ils ont commis. J'ai eu à subir, dans les malpropretés de M. Camus, la même sorte d'ignoble et d'infime goujat.

En conclusion, je noterai qu'avec cette affaire, M. Camus s'est irrémédiablement discrédité auprès de quiconque sait lire, sait juger, sait penser. Cette faute-là vaut un suicide. Toutes mes condoléances à ses amis, s'il en a eu."


(Tony Duvert, "Mise au point", Gai Pied Hebdo, n° 56, 12 fév. 1983, p. 57).


7 commentaires:

  1. Putain, faut pas le chercher le Tony, surtout quand on est un imbécillicque des limbes comme Renaud Camus...

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  2. Nan, faut pas.

    A noter, pour être complet, et comprendre peut-être mieux la portée des manoeuvres de Camus dénoncées par Tony Duvert à l'époque, que jusqu'à la mort misérable de ce dernier, on pouvait lire régulièrement, çà et là, que d'aucuns doutaient de son existence et se demandaient sérieusement s'il n'était pas en fait une pure émanation de Renaud Camus...

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  3. Cela n'a jamais été vrai des lecteurs de Camus, qui au contraire et jusqu'au bout ont cherché la trace de Duvert. Ils le pensaient à Tours.

    Les hétéronymes des premiers livres suivaient une logique: Denis Duparc (anagramme de Indes + référence à la littérature), puis Tony Duparc (Tony Duvert? Pourquoi pas? mais aussi de multiples allusions aux amants américains («Tony? Mon Tony?» se trouve dans Tricks), puis Denis Duvert, croisement des précédents.

    Camus a eu le même psychanalyste que Duvert. Il lui rendait encore hommage en 2007 : http://vehesse.free.fr/dotclear/index.php?2006/09/25/133-un-coming-out-desastreux

    Et si Duvert a menacé "de lui casser la gueule", Duras ou Robbe-Grillet ont accepté les abondants collages et citations non référencées sans faire tant d'histoires.

    Mais enfin, je sais bien que vu les dernières déclarations de RC, l'espoir qu'il puisse être lu devient tout à fait illusoire.

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  4. "l'espoir qu'il puisse être lu devient tout à fait illusoire" : Pas tant que ça, d'aucuns parlent même de regain possible des ventes – on imagine grâce à quels "nouveaux lecteurs" bien léchés...

    Mais je ne veux pas faire de cynisme, votre point de vue sur ces questions est éminemment défendable et je vous remercie de l'avoir exprimé.

    Et d'ailleurs, si vous insistiez, je vous adresserais volontiers la réponse de Camus à Duvert parue dans le même numéro de Gai Pied que, faute de place et d'envie, j'ai fort malhonnêtement passée sous le boisseau.

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  5. Franchement, il faut beaucoup de mauvaise foi, ou d'aveuglement narcissique, pour affirmer que "Notes achriennes" n'est que le "digest" de "L'Enfant au masculin". Les deux livres n'ont vraiment rien à voir (l'érotique camusienne est d'ailleurs fort éloignée de celle de Tony Duvert). On retrouve certes quelques citations (brèves) du livre de Duvert dans les "Notes", mais la source y est toujours nettement indiquée. Duvert a eu raison de ne pas mettre à exécution ses menaces de procès ; n’importe quel juge lui aurait donné tort tant il est évident que parler ici de plagiat est complètement abusif...

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    1. Je ne veux surtout pas polémiquer inutilement sur ces histoires sans âge, mais ç'a n'a visiblement pas paru aussi éloigné de la réalité à l'éditeur de Camus, puisqu'un accord a été passé avec Minuit (sous forme d'indemnisation), seule raison pour quoi il n'y a pas eu de procès.

      De mémoire, il me semble d'ailleurs que Camus en parle dans sa réponse à Duvert.

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    2. Camus explique dans les "Chroniques achriennes" que Paul Otchakovsky a en effet versé des droits à Jérôme Lindon, l'éditeur de Duvert, puisque ses citations de "L'Enfant au masculin" dépassaient en longueur les quinze lignes autorisées par la loi (on peut d'ailleurs ajouter que si cette loi était strictement appliquée, plus d'un blogueur serait très rapidement ruiné, ou contraint de fermer son blog...). Camus ajoute à ce propos : "Ces citations étaient clairement attribuées, et accompagnées de commentaires soulignant nettement leur caractère d'admiratif hommage. Il est certes sans précédent qu'un écrivain cité dans de telles conditions par un confrère en exige rémunération, et quelle, mais s'il le fait il est dans son droit. Rien à dire." ("Chroniques achriennes", P.O.L, 1984, pages 60-61).

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